mardi 12 septembre 2017

libraire

que t'avais 46 ans
que t'étais au chômage
que t'étais plus assez rapide
que les disques de ton dos étaient rayés
que t'avais un peu d'argent de côté
que tu as racheté cette librairie
que t'as la chance d'être chez toi
que t'es bien ici 
sans patron sans patronne
que t'es bien dans ta peau même si au final
tu bosses plus qu'un ouvrier
que tu voulais pas faire la même chose que tes parents
que tu pouvais pas partir
que tu pouvais pas rester
que tu vas chez le routier tous les midis pour déjeuner
qu'il n'y a plus que lui dans le quartier maintenant 
que c'est toujours très bon et
que c'est toujours très varié 
que tous les jours t'apprends quelque chose
que ta librairie c'est ton théâtre
que les gens se confient 
que les gens arrivent parfois en colère
que les gens repartent parfois en rigolant
qu'ils te racontent des trucs sur leurs ennuis
leurs hématomes
leurs thyroïdes de merde
sur les affaires qu'ils font à la casse ou bien
sur les émotions que suscite chez eux le changement de saison
que c'est l'automne
que le linge sèche plus lentement
que les catalogues s'épaississent dans les boîtes aux lettres
que les foires aux vins sont installées 
que les altocumulus deviennent nimbostratus
que les feuilles mortes s'accumulent en bas des escalators 
que le dernier numéro de New Noise est paru
que quand il n'y a personne tu ne penses qu'à des mauvaises choses
que le football ne sera plus jamais romanesque
que tu ne trouveras plus jamais tes courbatures sexy
ou que les hérissons sont en voie d'extinction
ou que si ça continue tu risques de mourir dans tes cartons préformés
que ce qui te rend moins seul en fait
c'est de boire des coups avec ta solitude